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Le blog de Folioscope

Recueillir le témoignage des collaborateurs, une réponse aux enjeux des entreprises ?

Histoire d’une rencontre….

C’est en 2017 que nous nous rencontrons au sein du collectif Folioscope. Si nous partageons le fait de travailler sur les archives et l’histoire, nous avons chacune nos spécialités : pour Anaëlle, les archives orales et les collectes de témoignages, pour Christine, la gestion des archives et la valorisation du patrimoine historique, principalement dans le domaine des entreprises. Toutes deux passionnées et désireuses d’élargir nos champs d’intervention, nous aimons convaincre et démontrer le bien fondé de nos activités : la transmission de l’histoire comme révélateur d’une culture partagée.

Rapidement un objectif nous rapproche : proposer les archives orales comme un outil répondant à certains enjeux stratégiques des entreprises. Ces recueils de témoignages et de mémoire, dont Florence Descamps est l’une des initiatrices dans le champ de la recherche française, sont principalement réalisés dans un cadre universitaire, au sein d’institutions publiques et dans le privé par des associations d’anciens. Nous élaborons un discours commun, partageons nos convictions et commençons à prospecter. 

Les premiers projets émanent du domaine assez « classique » de l’enrichissement de l’histoire par la collecte de témoignages. L’année 2024 aura cependant été marquée par une diversification des demandes qui s’inscrivent aussi dans d’autres contextes. Reste cependant un champ d’intervention à explorer dont nous sommes convaincues de la pertinence pour de nombreux acteurs : la transmission intergénérationnelle notamment aux moments de l’intégration et du départ à la retraite des collaborateurs.

 

Des archives orales pour enrichir son histoire

L’histoire d’entreprise est constituée le plus couramment d’archives physiques (mais aussi numériques) qui sont collectées et conservées, puis valorisées sous différentes formes (livres, expositions, parcours de visite, etc.). Souvent ces archives peuvent être lacunaires, pas assez nombreuses ou sujettes à questionnement. 

Or, en plus de reposer sur des techniques, des produits et sur l’aspect organisationnel, l’histoire de l’entreprise est également - voire avant tout - celle des hommes et des femmes qui, à tous les niveaux, ont bâti l’entreprise.

Il apparaît alors indispensable de se tourner vers les témoins qui ont vécu cette histoire. Le témoignage oral permet de recueillir la parole d'un témoin, "d'entrer" dans sa mémoire, de multiplier les points de vue et d’obtenir une compréhension bien plus complète de certains événements, de décisions stratégiques, ou de moments clés de la vie d’une organisation. 

De nombreux acteurs ont ainsi mis en place des programmes d’archives orales, et nous avons eu la chance d’en accompagner plusieurs à divers stades et sous différentes formes, qu’il s’agisse d’institutions (CEA, Inria) ou d’entreprises (l’Aventure Peugeot Citröen DS, Fédération Nationale des Banques Populaires). Souvent menés sur des temps longs ou à l’occasion d’une célébration, ces programmes témoignent de l’intérêt d’enrichir la connaissance d’une histoire déjà documentée de façon écrite ou visuelle.

Le temps long est justement ce qui caractérise le dispositif de recueil de témoignages mis en place par le service Histoire & Archives de la Société Générale qui existe depuis 2009. En interrogeant des dirigeant.e.s et des collaborateur.rice.s, ce projet de collecte d’archives orales a pour objectif de compléter le patrimoine historique du Groupe tout en le valorisant pour la communication interne et externe. Se déployant sur le long terme, il s’adapte aux différents événements qui jalonnent l’histoire du Groupe. En janvier 2023, est créée la nouvelle Banque de détail en France, SG, issue du rapprochement de ses deux réseaux de Banque de détail, Société Générale et Groupe Crédit du Nord. Les archives historiques du groupe Crédit du Nord et de ses filiales (banques régionales) sont alors rapatriées au sein du service Histoire & Archives de la Société Générale. « Il nous a alors paru pertinent d’enregistrer les témoignages d’anciens cadres et dirigeant.e.s du groupe Crédit du Nord afin d’approfondir nos connaissances, notamment sur les actions et expériences qui ne sont pas retracées dans les documents. » précise Valérie Marchal, Responsable Histoire & Archives. 


(plateau de tournage des entretiens oraux pour la Société Générale à la Défense-Paris)

Notre intervention a pris en charge l’ensemble du processus : de la préparation des entretiens (questionnaire, recueil d’information…) à l’encadrement des enregistrements vidéos, jusqu’à leur indexation. « Nous avons souhaité filmer les entretiens, avec la meilleure qualité possible, pour en favoriser la valorisation ultérieure. Ne pas avoir à gérer les aspects techniques des captations nous a aussi permis de nous concentrer sur les échanges avec les témoins. Il était aussi très intéressant pour nous de pouvoir procéder à des entretiens croisés avec un intervieweur interne à notre organisation, historien du Groupe, et une compétence (et œil) externe », ajoute Valérie qui met en avant la spécificité de cette mission : la réalisation des entretiens avec un duo d’intervieweurs, une personne issue de l’entreprise (ayant bénéficié d’une courte formation au recueil de témoignages par nos soins) et l’autre, spécialiste du recueil de témoignages.

 

Des archives orales pour sauvegarder un patrimoine 

Dans de nombreux cas, l'entreprise ou organisation est occupée par la recherche de l'innovation pour répondre à une exigence de compétitivité ou est soumise à une forte concurrence. Elle ne réussit pas à prendre le temps nécessaire pour se pencher sur son histoire et n’a pas l’esprit assez libre pour avoir une vision globale. La prise en compte de l’histoire et de la mémoire dépend alors essentiellement d'individus. 

C’est ce que nous avons observé une fois de plus dans le cadre de la sauvegarde du programme spatial Ariane 5. Ce programme a été mis en œuvre par ArianeGroup à partir des années 1980 et a été opérationnel de 1996 à 2023. A la faveur du passage du programme Ariane 5 à Ariane 6, ArianeGroup a entamé en 2024 le démantèlement de ses moyens de production et de tests utilisés pour le programme précédent. 

Pour éviter la disparition de cette histoire récente, des collaborateurs d’ArianeGroup ont proposé au musée de l’Air et de l’Espace (MAE) d’acquérir plusieurs matériels d’essais du lanceur ayant servi aux tests fonctionnels d’Ariane 5 depuis le milieu des années 1990. L'initiative de conservation et de préservation pour transmission est ainsi partie du "terrain", de personnes ayant travaillé sur les matériels d'essais en question. Le MAE a répondu présent pour œuvrer à cette préservation et la direction d'ArianeGroup a donné son accord pour que certains objets puissent être cédés au musée et également que certaines personnes puissent livrer leur témoignage, sur demande du MAE. 


(plateforme de tests fonctionnels pour Ariane 5 sur le site d'Ariane Group aux Mureaux)

Comme nous l’explique Marie-Laure Griffaton, conservatrice générale du patrimoine et directrice du département scientifique et des collections du Musée de l’Air et de l’Espace, “lorsque le MAE a été contacté il y a plus de 2 ans pour récupérer des objets appartenant à la plateforme d’essais du programme Ariane 5, s’est posée la question de la sélection obligatoire des objets : quels objets conserver, à la fois vis-à-vis de notre capacité, même au sein de notre réserve grands formats, et vis-à-vis du côté significatif de chacun des objets. Le moteur Vulcain a tout de suite retenu l’attention. Pour d’autres objets, c’était plus complexe comme, par exemple, le banc de qualification mission. Tous ces équipements n’ont guère de sens si leur fonctionnement n’est pas explicité et s’ils ne sont pas remis dans leur contexte, c’est-à-dire dans le cadre de la chaîne opératoire dont ils faisaient partie. D’une manière générale, le MAE cherche toujours à avoir des éléments de contexte, mais là c’était vraiment indispensable.” 


(mise en place du plateau de tournage des entretiens oraux sur le site d'Ariane Group aux Mureaux)

Le recueil d’archives orales que nous avons mis en place a été filmé et a permis de capter le témoignage de plusieurs collaborateurs ayant travaillé sur la plateforme d’essais Ariane 5. Il a été complété par une captation audiovisuelle de la plateforme d’essais et des matériels la composant, avant démantèlement. Marie-Laure Griffaton explique ainsi le projet : “Pour des questions financières et d’usage, il a été choisi de mettre en œuvre une campagne d’archives orales filmées sans effectuer de montage dans un premier temps.” Les témoignages complets nettoyés ont ainsi été livrés au MAE. “Ce travail nous a permis de recueillir la mémoire de différents témoins de façon brute et va pouvoir être utilisé selon différents usages, à la fois comme sources pour des chercheurs, comme matériaux pour des montages audiovisuels futurs, qu’il s’agisse de versions longues et pointues, ou de versions courtes voire de teasers. Il s’agissait de recueillir des témoignages conséquents afin de constituer une banque de données dans laquelle nous allons pouvoir puiser, tout en respectant les restrictions de diffusion demandées par les témoins et par ArianeGroup. Ce cadre a également permis l’instauration d’un climat de confiance entre l’ensemble des acteurs.”    
 

Des recueils de témoignages pour renforcer le lien entre générations

Au-delà de l’objectif historique, le recueil de la parole peut également devenir un outil puissant dans le domaine des ressources humaines et de la communication interne. Source de légitimité et de fierté collective, l’histoire renforce les liens entre l’entreprise et ses collaborateurs.

La captation d’archives orales et/ou de témoignages apporte des occasions d’échanges autour des récits de carrière et de l’histoire, à la fois histoire personnelle et histoire collective, que cela soit celle de l’entreprise, de certains services, et même plus globalement celle de la société. Excellent outil pédagogique, une campagne de ce type est une occasion de participation des salariés et de création de liens. 

Et c’est justement ce qui a inspiré Laurent Ducol, ancien directeur de Saint-Gobain Archives chargé aujourd’hui du programme Agir durablement en tant que Délégué aux Affaires sociétales et environnementales. « Le programme Agir durablement est un programme d’engagement des collaborateurs sur des sujets sociétaux et environnementaux chez Saint-Gobain en France et, dans ce cadre, nous souhaitions adresser le sujet « intergénérationnel ». Il m’a paru évident de commencer par une expérience de « recueil » que l’on connaît très bien dans le domaine des archives, mais en la détournant, en conservant son aspect « se souvenir de », en faisant appel à des personnes qui savent faire ce type de recueil, et en lui attribuant une nouvelle finalité. Dans le cadre ici de récit de carrière, il était important de personnifier cette thématique. »

En effet, la question de l’intergénérationnel est un des sujets majeurs qui traversent le monde de l’entreprise actuellement : comment créer du lien entre des générations qui au mieux s’ignorent, au pire éprouvent des difficultés à communiquer ? Comment faire pour que les nouveaux arrivants dialoguent avec les anciennes générations ? Comment instaurer de véritables moments de rencontre dans le travail pour que ces personnes puissent échanger ? Comment attirer les jeunes talents et surtout les faire rester en leur montrant les possibilités de faire carrière dans la durée ? Comment aussi valoriser un parcours professionnel et transmettre à 40, 50, 60 ans et jusqu’à son départ ?

(plateau de tournage des entretiens oraux pour Saint-Gobain à la Défense-Paris)

Et si la création d’échanges entre les différentes générations pouvait permettre de répondre à ces défis ? C’est ce que nous avons imaginé avec Saint-Gobain en créant les conditions d’une véritable rencontre entre un nouvel arrivant et un collaborateur en activité ayant déjà une expérience diversifiée au sein du Groupe. Notre dispositif de préparation en deux temps a permis de renforcer l’implication des deux intervenants dans leur découverte respective. Au final, le support de communication qui en résulte capture l’essence même de ces rencontres et traduit la sincérité de ces moments partagés. 

Les jeunes ayant participé en témoignent : ce projet leur a donné l’opportunité de rencontrer des personnes, de connaître des parcours et des sites de Saint-Gobain qu’ils n’auraient pu découvrir autrement. Et les collaborateurs expérimentés ont déclaré en avoir retiré du sens et de la satisfaction en œuvrant à une mission de transmission.

 

 

 

 

 

 

(extrait de la video pour le programme Agir Durablement/Saint-Gobain RSE)

Des recueils de témoignages pour répondre aux enjeux actuels 

Dans de nombreux secteurs industriels, la pyramide des âges est dangereusement inversée et les entreprises se trouvent face à des départs massifs en retraite. En 2006, l’arrivée à l’âge de la retraite des premières générations du « baby-boom » a initié une période de retraits massifs du marché du travail qui perdure dans les années 2020. Ce phénomène est à l’origine d’un renouvellement de la main-d’œuvre, dont l’intensité varie selon les secteurs d’activité. 

Les entreprises se trouvent confrontés à deux défis : 

  • Des départs à la retraite en nombre

Une étude Inet/Banque Postale(1) pointe la menace que fait peser le vieillissement de la pyramide des âges notamment au sein de la fonction publique territoriale. Avec un agent sur quatre âgé de plus de 55 ans, la perspective de départs à la retraite massifs conjuguée à des besoins de recrutement, place les organisations face à un risque de perte des compétences, et confère une acuité nouvelle à la question du transfert des savoirs entre jeunes et anciens.

Outre le risque de perte de connaissances et de savoir-faire, se pose également la question de l’accompagnement au départ des salariés. Chacun a pu lire des témoignages difficiles de salariés partis à la retraite de façon inaperçue durant la crise sanitaire de la Covid-19. Une expérience qui laisse un goût d’inachevé, et une certaine rancœur chez ceux partis sans le moindre remerciement. "C'est dévalorisant, c'est dégradant. Et surtout, c'est une forme de violence" peut-on lire dans un article de l’Express(2) en juin 2021.

Le départ à la retraite est un moment important dans la carrière d’un salarié, qui peut être vécu de manière plus ou moins positive. Le fait de partir sans avoir l’occasion de communiquer sur sa carrière, de transmettre son expérience, de partager des valeurs, représente un manque, voire une réelle frustration. Beaucoup de futurs retraités se disent désireux de communiquer leurs savoirs aux plus jeunes et de boucler ainsi leur cycle de vie professionnelle. Ils peuvent alors contribuer à la pérennité de l’activité, qui, en retour, confère du sens à leur propre engagement professionnel

  • Des besoins de recrutement et de fidélisation des nouveaux arrivants

Les chefs d'entreprises éprouvent de réelles difficultés à comprendre la Génération Z(3). Or ils ont besoin d’attirer les jeunes talents et de les fidéliser, d’autant plus lorsqu’ils ont déjà investi dans des dispositifs d’apprentissage ou d’alternance ou qu’ils les ont formés dans leurs propres écoles de formation interne. 

De leur côté, les jeunes générations bouleversent le monde du travail en remettant en cause de nombreux fonctionnements : les rapports hiérarchiques, l’autonomie, la verticalité, l’équilibre vie professionnelle/vie privée. Pour ces jeunes actifs, le travail n’est plus seulement un moyen de subvenir à leurs besoins financiers, mais une opportunité de donner du sens à leur quotidien et de contribuer positivement à la société. Selon une étude menée par Ryan Jenkins, 93 % des membres de cette génération déclarent que l’impact d’une entreprise sur la société influence leur décision d’y faire carrière(4).

Plus de la moitié des jeunes actifs (52 %) seraient prêts à changer pour un emploi plus plaisant mais moins rémunéré. L’ambiance de travail, citée comme critère clé par 42 % des jeunes, arrive presque à égalité avec la rémunération (43 %). Ces résultats montrent une génération qui privilégie son bien-être tout en recherchant un environnement où ses valeurs personnelles et professionnelles sont respectées(5).

Le travail historique et le recueil d’archives orales sont des outils puissants pour l’enrichissement, la sauvegarde et la transmission de la mémoire, individuelle et collective. Ce sont également des leviers efficaces pour préparer l’avenir des entreprises et organisations. Nous sommes convaincues que la mise en place d’un projet d’accompagnement jeunes-anciens sous la forme d’entretiens et de récits de carrière permettrait aux entreprises de répondre aux défis auxquels elles sont confrontées. 

Rencontrons-nous pour en parler ?

 

Anaëlle Guérin / BIRD-Folioscope

Christine Carbonnel Saillard / PasséAvenir-Folioscope

 

 


(1) Étude publiée le 21 décembre 2023 et réalisée à partir de 33 entretiens conduits dans les directions RH de10 communes, 3 EPCI, 9 services mutualisés d’intercommunalités et de communes et 11 conseils départementaux.

(2) https://www.lexpress.fr/societe/partis-sans-le-moindre-remerciement-la-brutalite-des-departs-en-retraite-au-temps-du-covid_2150153.html?cmp_redirect=true (consulté en mars 2025)

(3) Observatoire sociétal des entreprises/IPSOS - juin 2024
https://www.ipsos.com/fr-fr/observatoire-societal-des-entreprises-le-rapport-au-travail-de-la-generation-z (consulté en mars 2025)

(4) https://blog.ryan-jenkins.com/statistics-exposing-what-generation-z-wants-from-the-workplace#:~:text=Generation%20Z's%20top%20motivators%20at,vs%2070%20percent%20of%20Millennials) (consulté en mars 2025)

(5) Le rapport de la génération Z au travail de l’Ifop https://www.ifop.com/publication/le-rapport-de-la-generation-z-au-travail/ (consulté en mars 2025)

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